- COMPOSITION MUSICALE
- COMPOSITION MUSICALEDans son Dictionnaire de musique , Jean-Jacques Rousseau définit la composition musicale comme «l’art d’inventer et d’écrire des chants, de les accompagner d’une harmonie convenable, de faire, en un mot, une pièce complète de musique avec toutes ses parties». Le mot composition engloberait donc, appliqué à la musique, toutes les techniques musicales, à l’exception de celles qui sont simplement d’exécution (celles des interprètes). Toutefois, le terme composition n’a jamais été employé que pour désigner l’invention musicale réfléchie et donnant lieu à une véritable construction musicale; il n’a jamais été utilisé pour décrire l’invention musicale spontanée, qu’elle soit individuelle et savante, comme celle des improvisateurs, ou collective et intuitive, comme celle du folklore. L’idée de composition paraît donc liée à celle de l’élaboration méthodique des œuvres musicales, qui est elle-même inséparable de leur traduction écrite sous forme de partitions.À partir du début du XIXe siècle, on vit s’établir une classification de plus en plus précise dans les diverses disciplines de l’écriture musicale. Les techniques d’écriture proprement dites, connues sous le nom de contrepoint , harmonie , instrumentation et orchestration , se trouvant séparées de la composition, cette dernière devint essentiellement l’art du «faire» autant que celui d’«inventer». On applique alors le mot composition à l’ensemble des procédés et des techniques utilisés lorsqu’on se livre à l’élaboration d’une œuvre musicale structurée. On parle alors généralement de la construction d’une œuvre. La cohérence et la logique d’une telle construction sont évidemment indispensables dans le cas des œuvres ayant une certaine ampleur (sonate, symphonie, opéra, etc.) mais ne doivent jamais être absentes des œuvres courtes. Par exemple, la construction d’un simple lied de Schubert peut être tout à fait remarquable. De même, donc, que l’on peut comparer les diverses règles de l’écriture musicale, celles de l’harmonie et du contrepoint, à la grammaire et à la syntaxe, de même peut-on comparer les règles de la composition à celles qui permettent la construction des formes littéraires (tragédie, roman, ou simplement sonnet...). Il résulte de cette conception de la composition que l’on vit apparaître des descriptions de plus en plus académiques des principales formes musicales, descriptions qui, par ailleurs, en permettaient une plus facile classification. Les commentaires ne manquant pas au sujet de ces descriptions et classifications, la frontière séparant la composition (qui, logiquement, devrait être avant tout un ensemble de techniques) et l’esthétique musicale eut tendance à devenir de plus en plus floue. On le constate dans le Cours de composition musicale de Vincent d’Indy, dans lequel, outre une classification des formes (plus exactement des schèmes formels) et leur description, apparaissent de nombreux jugements de valeur à partir d’analyses souvent succinctes des diverses œuvres.À partir du XXe siècle, la composition devient l’art d’assembler des sons pour obtenir une œuvre musicale indépendamment de l’idée d’un schème formel préétabli. On admet donc que la composition est une science, une praxis , qui permet l’invention de nouvelles formes, ces dernières n’étant pas forcément répertoriées dans les traités de composition. Il s’agit par conséquent d’une sorte d’esthétique appliquée, qui utilise les règles de l’écriture musicale, mais qui peut provoquer l’invention de nouvelles règles, du fait que la composition se trouve située au-delà de la simple écriture. En reprenant la comparaison déjà faite avec la littérature, on dira que la grammaire et la syntaxe sont considérées comme les moyens de donner naissance aux diverses créations littéraires, mais qu’elles n’en constituent pas l’infrastructure. Il y a là un retournement de la situation antérieure: les nécessités de la composition provoqueront une remise en question des règles de l’écriture, alors que, précédemment, les règles de l’écriture servaient de support et de prétexte à la constitution des schèmes formels et à leur évolution.Depuis l’apparition des musiques dites expérimentales (musiques concrètes, électroniques, électroacoustiques, acousmatiques...) et de nouveaux moyens de production sonore (synthétiseurs, ordinateurs...), un profond changement s’est produit. L’intérêt s’est déplacé de la forme, du discours musical, vers la séduction sonore ou la curiosité acoustique. On dit volontiers maintenant que l’on compose alors qu’on se livre à de simples juxtapositions de sons plus ou moins inédits et d’apparence plus ou moins complexe. Un exemple frappant illustre cette évolution: pour entrer en classe de composition au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, les candidats n’eurent plus à subir d’épreuves d’écriture (harmonie ou contrepoint) et furent donc seulement jugés sur leurs capacités d’imagination, leur créativité. La tâche des jurys n’en fut pas facilitée puisqu’il est difficile d’établir des critères d’évaluation indiscutables. L’esthétique a donc tendance à prendre de plus en plus le pas sur les techniques. La composition n’est plus l’art de se soumettre à des schèmes formels tout en les faisant évoluer, ni même celui d’en inventer de nouveaux, mais est aussi celui de se dispenser de tout schème formel. Dans la composition musicale subsistent alors deux écoles, ou plutôt deux tendances, la seconde étant très fortement majoritaire. La première reste attachée à un langage musical fortement structuré, capable d’engendrer à la fois formes et discours. L’autre considère comme secondaire le problème de la forme et lui préfère celui de l’élaboration de sonorités, de timbres, d’objets sonores nouveaux. L’évolution de l’utilisation de l’ordinateur à des fins musicales illustre ces tendances. Commencées en 1955, les recherches portèrent d’abord sur l’étude du langage musical et sur les formes qui pouvaient résulter de sa manipulation. Très rapidement, ces recherches s’orientèrent vers la synthèse des sons. On assiste aujourd’hui à un prodigieux développement de l’acoustique numérique. Peut-on, si l’on veut garder au mot «composition» le sens qu’il eut à l’époque classique, parler de techniques modernes de composition musicale? Ce n’est pas certain. Mais il existe, en revanche, de riches et multiples techniques pour créer des événements sonores. Il est hors de doute que ces événements peuvent être générateurs de sensations agréables. Nous sommes alors ramenés à une autre définition de Rousseau: «La musique est l’art de combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille.» Mais la musique est-elle faite pour l’oreille seulement ?Préalables à la composition musicaleSelon Hugo Riemann, l’art de la composition est celui de «créer une œuvre de musique» et, par conséquent, «l’étude de la composition commence par celle des éléments de notre système musical». L’«œuvre musicale» suppose, en effet, la capacité, chez celui qui en est l’auteur, de lui conférer une certaine durée. Dans les traditions musicales occidentales, cette durée devra être perçue par l’auditeur comme étant à la fois nécessaire et suffisante. L’accord final d’une symphonie, par exemple, est la borne d’un découpage du temps effectué par la musique et qui ne doit être ni trop court (l’auditeur aurait l’impression d’une œuvre inachevée) ni trop long (l’auditeur trouverait l’œuvre ennuyeuse). Il est donc important de remarquer que, dans sa définition de la composition, Riemann ne parle pas de la musique en général, mais la relie aux éléments de notre système musical. Ce système est, lui-même, lié à une conception de la musique qui est celle de la musique dite pure (absolute Musik ), c’est-à-dire celle qui n’est tributaire d’aucune exigence extramusicale (magique, religieuse, ou fonctionnelle à quelque titre que ce soit).Entre les musiques exclusivement fonctionnelles et celles qui n’ont de justification qu’en elles-mêmes et en leur propre perfection (par exemple une fugue de Bach ou un quatuor de Beethoven), il existe d’innombrables intermédiaires, parmi lesquels il faut retenir les musiques qui font appel à un support littéraire (musiques dramatiques, opéras, mélodies), ou chorégraphique (ballets avec ou sans argument), ou encore anecdotique (poème symphonique). La notion de composition musicale étant inséparable de celle de musique pure et n’apparaissant, de ce fait, que dans la tradition musicale occidentale, c’est donc à cette dernière que l’on se référera constamment, même si l’on doit admettre que, dans cette tradition, la construction des œuvres musicales peut souvent obéir à des impératifs qui ne sont pas exclusivement musicaux. De tels impératifs, en effet, sont toujours subordonnés, dans notre système musical (au sens dans lequel Riemann emploie cette expression), aux exigences d’une œuvre qui pourrait être exclusivement musicale. Il est facile de constater que les mélodies, opéras, ballets, messes, drames musicaux, etc., peuvent toujours être analysés comme s’ils étaient débarrassés de toute ingérence littéraire, chorégraphique, sacrée ou mythologique, et ramenés à la seule architecture musicale qui leur est suffisante.L’élaboration d’une «œuvre de musique» suppose que soient d’abord résolus les problèmes relatifs à la simple écriture musicale. Ces problèmes, dans la musique occidentale, sont surtout posés par l’existence de la polyphonie ; c’est pourquoi l’étudiant en composition devra se familiariser au préalable avec les techniques du contrepoint (art de superposer plusieurs lignes mélodiques), de l’harmonie (art d’enchaîner des agrégats sonores, superpositions de notes nommées accords ), de l’instrumentation (connaissance des timbres, des possibilités et de l’étendue des voix humaines et des instruments de musique) et avec l’orchestration (étude des sonorités résultant du mélange des timbres, des voix et des instruments différents).Dans les débuts de la polyphonie occidentale (IXe et Xe siècles), les exigences de la polyphonie elle-même se révélèrent parfois suffisantes pour fournir un cadre, un support ou un squelette aux préoccupations compositionnelles. Un exemple en est l’imitation , procédé du contrepoint dans lequel une ligne mélodique peut être son propre accompagnement et qui donne naissance au canon , qui est déjà une forme musicale. Mais il arrivait encore plus fréquemment que, la musique savante étant presque exclusivement vocale, le texte choisi dictât sa propre forme à l’œuvre musicale. Petit à petit, et au fur et à mesure que la musique affirmait son autonomie par rapport à la littérature et à la liturgie, se constituèrent des règles qui, applicables au déroulement du discours musical, précisaient l’architecture de chaque pièce et étaient enseignées par l’école. C’est donc l’ensemble de ces règles que l’on voit figurer dans les divers traités de composition; elles définissent ce que l’on a appelé les schèmes formels.Les schèmes formelsPour concevoir correctement les problèmes qui se posent à la composition musicale, il ne faut pas oublier que, la musique étant un art du temps, il conviendra d’organiser, à l’aide d’éléments sonores, un découpage du temps qui sera perçu comme cohérent par les auditeurs. En se référant à l’histoire de la musique, on constatera que les diverses formes musicales se constituent progressivement, par addition de règles diverses dont le rôle évident est de maîtriser la complexité du discours musical. À partir d’une époque relativement récente (entre la première moitié du XVIIe siècle et la fin du XIXe), ces règles furent systématiquement inventoriées à des fins d’enseignement. Les nécessités de l’enseignement exigeaient, en effet, que les méthodes de construction d’une œuvre musicale soient rigoureusement codifiées afin que l’élève puisse s’appuyer, en toute sécurité, sur le schéma d’une architecture précise. Ainsi prirent naissance les formes dites d’école, ou encore schèmes formels, à partir desquelles il restait possible de concevoir de multiples variantes dites formes «libres». Le schème formel n’apparaît pratiquement jamais à l’état pur dans la production des grands maîtres (on cherchera en vain une fugue d’école chez Bach ou une sonate d’école chez Beethoven), mais il constitue une référence pratique pour une classification des diverses méthodes de composition employées jusqu’au début du XXe siècle. C’est pourquoi nous tenterons d’en faire ici une description sommaire. Par ailleurs, à propos d’œuvres plus récentes, appartenant à la production du XXe siècle, il arrivera que, sauf exceptions, nous ne puissions découvrir aucune référence à l’un quelconque des schèmes formels classiques. Nous devrons donc tenter de déceler des règles implicites, ou constater l’existence (ou la non-existence) de nouvelles solutions au problème de l’organisation (ou de la non-organisation) du temps dans le langage musical.Nous pouvons nous faire une idée des diverses manières d’organiser le temps musical en analysant une simple structure mélodique. Deux méthodes principales sont habituellement utilisées par les compositeurs. La première consiste à obtenir une unité du discours qui soit perceptible par l’auditeur en affirmant la permanence des mêmes intervalles ou des mêmes mélismes mélodiques (des exemples de mélodies de cette sorte peuvent être découverts dans le chant grégorien). La seconde se fonde sur la répétition systématique de fragments mélodiques qui, étant habituellement terminés sur la note principale du mode ou du ton, peuvent être isolés comme des touts complets (le type de cette forme est la chanson à couplets et refrain). La première méthode permettra la constitution de structures dites ouvertes, la seconde celle de structures dites closes, celles-ci, contrairement aux premières, paraissant refermées sur elles-mêmes, rigoureusement découpées et limitées dans le temps. Mais la différence qui sépare les structures closes des structures ouvertes peut souvent être assez subtile et dépendre, avec une malicieuse relativité, des méthodes d’analyse qui sont employées par le théoricien: on pourra, par exemple, découvrir qu’une structure close assez longue est, en réalité, constituée par la succession de courtes structures ouvertes, le contraire étant également possible. Il est donc important de rechercher ce qui, dans la composition, est considéré comme l’ensemble des éléments de base à partir desquels se sont, pour l’école, élaborés les schèmes formels.Le motif et le thèmeLe plus court et le plus simple de ces éléments semble être le motif (parfois appelé cellule par Vincent d’Indy). Il s’agit d’un très court élément caractéristique, dont la répétition contribue à donner à l’ensemble son homogénéité. Le motif peut être mélodique, rythmique ou harmonique; dans ce dernier cas, les mêmes enchaînements d’accords sont répétés sur des degrés différents de la gamme. Contrairement au motif, habituellement destiné à être répété, le thème , qui est le plus souvent mélodique, est conçu pour fournir matière à des variations, pour donner naissance à des développements. Ces développements sont obtenus de multiples manières, parmi lesquelles nous pouvons citer les modifications harmoniques (modulations suivies de transpositions), la contraction et la répétition des motifs caractéristiques que l’on peut découvrir dans le thème, l’allongement du thème par la répétition de certaines notes, etc. Enfin, certaines œuvres longues (suites, concerti grossi, symphonies, sonates) sont formées de la succession de parties moins longues, nommées mouvements dans les symphonies et les sonates, ou portant des titres de danse dans la suite. Tout comme la succession des scènes dans la musique de théâtre, l’ordonnancement des mouvements et l’équilibre de leur alternance font partie de la composition.Chaque schème formel possède plusieurs ramifications, plusieurs schèmes qui lui sont apparentés, parmi lesquels il est souvent bien difficile d’établir un classement qui respecte l’ordre chronologique. On se contentera ici d’apporter une attention particulière aux deux schèmes formels les plus classiques, c’est-à-dire les plus intégrés à l’histoire de la musique occidentale, la fugue et la sonate ; au passage, on s’attardera sur tous ceux qui en dérivent ou qui permirent de les constituer.La fugueLa fugue est le schème formel qui correspond à la construction la plus savante et la plus complexe que l’on ait, à ce jour, imaginée à partir des techniques d’écriture musicale du contrepoint. Parmi les diverses voies s’ouvrant à ceux qui pratiquaient cette technique, l’une des plus séduisantes menait vers le style dit en imitation, dans lequel une ligne mélodique donnée se superposait à sa propre image décalée dans le temps. On a déjà fait remarquer que le canon était l’exemple le plus typique de ce style. Mais, sur le plan strictement formel, le canon tendait à être victime de sa trop grande rigueur d’écriture. Il est facile de se rendre compte, en chantant à deux voix, en canon, la chanson bien connue Frère Jacques , qu’il est difficile de terminer un canon de telle sorte que l’on ait le sentiment d’une structure close. Il fallait donc soit utiliser des artifices qui, conservant la rigueur et la simplicité du canon, le délivraient d’une relative monotonie (canon dit à l’écrevisse, dans lequel la ligne mélodique est reprise en commençant par la dernière note et en finissant par la première, par exemple), soit découvrir des formes plus subtiles. De telles formes peuvent être découvertes dans les ricercari , pièces contrapunctiques dans lesquelles les imitations diverses alternent avec des transitions auxquelles donnent lieu des motifs contenus dans le thème principal. Dès que se trouve atteint un certain degré de perfection du ricercare (par exemple dans l’Offrande musicale de Bach) s’opère le passage sans solution de continuité apparente au domaine de la fugue. La construction de cette dernière va s’établir à partir des quatre éléments suivants: un thème qui, en langage d’école, sera nommé le sujet de la fugue; une réponse , imitation du sujet qui, transposé initialement à la quinte, devra être déformé pour rester dans le ton initial (cette déformation étant provoquée par le fait qu’il n’existe pas dans la gamme tonale classique de note «milieu», puisque le nombre des notes est de sept; un sujet qui serait do , ré , mi , fa , sol , par exemple, devrait, transposé sur la note sol , devenir sol , sol , la , si , do , pour rester dans le ton de do ); la continuation du sujet qui, suivant les règles du canon, se superpose à la réponse et sera appelée le contre-sujet ; enfin, diverses transitions tirées des motifs mélodiques ou rythmiques que l’on peut extraire du sujet ou du contre-sujet. En cours de route, les diverses transitions seront utilisées pour amener le sujet ou le contre-sujet à être présentés dans diverses tonalités, habituellement choisies parmi celles qui sont voisines de la tonalité originale. De plus, différents artifices d’écriture seront employés pour varier la présentation des divers matériaux (remplacement des valeurs longues par des valeurs brèves, ou inversement, remplacement des intervalles ascendants par les mêmes intervalles descendants et réciproquement, etc.). Tout ce qui est nécessaire se trouve donc présent, dans la fugue, pour aboutir à une construction dans laquelle le sentiment de l’unité la plus stricte sera toujours préservé en même temps que sera rendue possible, par le jeu des combinaisons multiples, une considérable variété. De plus, le travail du compositeur sera organisé de telle sorte que les superpositions diverses des éléments seront de plus en plus complexes, de plus en plus riches, jusqu’à aboutir à une sorte de point culminant nommé strette (jeu «serré»), à partir duquel l’ouvrage pourra se terminer.La sonateSi la fugue peut être considérée comme l’exemple le plus parfait d’une composition musicale fondée sur un thème unique (le sujet), la sonate , au contraire, présente l’exemple d’un travail méthodique d’agencement de matériaux thématiques différents, que l’on contraint à coexister à l’intérieur d’une même œuvre. De plus, si la fugue se présente comme une pièce unique, fortement architecturée, la sonate d’école, quoique étant une œuvre unique, peut être également analysée comme la succession de trois pièces (les trois mouvements) ayant chacune leur propre unité. En fait, deux problèmes se posent à propos de la sonate. De simples considérations historiques suffisent pour résoudre le premier, celui de la succession des mouvements. On peut en effet imaginer que la suite (succession de pièces variées toujours exécutées à la suite les unes des autres) et l’ouverture (dans laquelle on trouve l’alternance des tempi lent-vif-lent ou vif-lent-vif, suivant qu’elle est «à la française» ou «à l’italienne») ainsi que le concert (ou concerto dit grosso , à ne pas confondre avec le concerto à soliste, qui est une forme sonate) se sont trouvés avoir, comme dénominateur commun, une œuvre en trois parties, empruntant l’alternance des tempi à l’ouverture à l’italienne. Le second problème, plus délicat, est celui de la construction d’un seul mouvement à partir de deux thèmes. On peut aussi, il est vrai, imaginer quelque douteuse filiation de l’ouverture; en dernière analyse, cependant, le facteur déterminant semble bien devoir être l’imagination et l’esprit de rigueur des premiers «bâtisseurs» de cette forme et, tout particulièrement, de Jean-Chrétien Bach (fils de Jean-Sébastien). En fait, dans la sonate d’école, qui se présente donc comme une œuvre en trois mouvements dans l’ordre nécessaire des tempi vif-lent-vif, seul le premier mouvement sera rigoureusement codifié, la forme des deux autres pouvant être choisie parmi un certain nombre de formes «autorisées». Le principe de base de cette codification sera le bithématisme et le caractère de dissemblance que devront posséder les deux thèmes. Le jeu auquel se livre le compositeur d’une sonate sera donc symétrique de celui qui est joué par le compositeur d’une fugue. En effet, c’est maintenant l’unité qu’il faut rechercher, malgré une variété obligée. Pour parvenir à cette unité et, surtout, pour la rendre perceptible à l’auditeur, la variété sera réduite par l’utilisation des reprises; l’exposé des éléments constitutifs de la sonate – qui sont le premier thème, une transition, le second thème, et enfin une conclusion – sera, en effet, répété deux fois, avant que ces éléments soient développés, présentés à nouveau dans d’autres tonalités et intervertis dans leur ordre d’apparition. Ainsi conçu, le premier mouvement d’une sonate d’école sera donc une forme parfaitement close, à laquelle il sera possible d’adjoindre au moins deux autres mouvements construits de telle manière que l’ensemble soit toujours une structure close. Le deuxième mouvement (lent) sera généralement de forme «symétrique», soit une partie principale, une partie centrale et une reprise de la partie principale parfois légèrement variée. Le dernier mouvement, ou «final» de la sonate, répondra à la forme dite en rondo , qui n’est autre que la forme à refrain et couplets dans une version savante: le thème principal revient périodiquement, ses diverses apparitions étant séparées par des divertissements.Deux points importants doivent maintenant être signalés: le premier est qu’ainsi codifiée cette forme sonate n’est jamais que la règle à laquelle se réfèrent toutes les exceptions que sont les sonates des grands maîtres; le second est que, à travers lesdites exceptions, on retrouve toujours le souci d’obtenir une structure globalement close, même si les structures particulières des différents mouvements sont perçues comme individuellement ouvertes. À l’intérieur de cette exigence d’unité impérative, de multiples possibilités de choix sont offertes au compositeur. Il est des choix que l’on rencontre assez fréquemment, par exemple: l’utilisation, pour le deuxième mouvement ou le final, de la forme thème et variations ou, pour le final, d’une forme apparentée à celle du premier mouvement. Enfin, un quatrième mouvement, facultatif en quelque sorte, le menuet ou le scherzo , va parfois s’interposer entre le mouvement lent et le final.Le menuet et le scherzo; le «thème et variations»Si le menuet ou le scherzo (plus rapide que le premier) sont presque toujours présents dans la symphonie (version orchestrale de la forme sonate, comme d’ailleurs le quatuor dans la musique de chambre), on les rencontre moins souvent dans les concertos à soliste ou dans les sonates pour instrument seul. Le menuet est le type même du schème formel toujours strictement respecté. En ce sens, et aussi parce que ce schème constitue un exemple parfait de l’utilisation de la répétition (reprise ) comme principe de construction, il mérite d’être brièvement décrit. Le menuet est toujours construit en trois parties. La première se divise elle-même en deux, chacune étant reprise. La partie centrale, dont le caractère mélodique contraste avec celui de la première, est également divisée en deux reprises et, pour terminer, la pièce est recommencée au début (da capo ), mais avec omission des répétitions. Cette forme menuet présente un grand intérêt: en raison de sa codification très rigoureuse et de sa symétrie due aux répétitions, elle est en effet une sorte de «forme close» type. Pour des raisons opposées, le thème et variations va nous retenir quelques instants. On peut en voir l’origine dans la passacaille , véritable jeu musical savant, dans lequel un motif, inlassablement répété à la basse, est surmonté de tissus harmoniques ou contrapunctiques divers, ce jeu ne pouvant se terminer que par l’adjonction d’une conclusion (coda ). Dans le thème et variations, la structure harmonique du thème est habituellement conservée, les variations en proposant des versions diverses, dont le nombre n’est limité que par la volonté du compositeur. Par conséquent, si, pris individuellement, le thème et chaque variation sont de courtes formes closes, l’ensemble paraît être le type même d’une forme ouverte, une ou plusieurs variations pouvant toujours être soit ajoutées, soit omises.Composition et invention des formesLes schèmes formels, dont certains viennent d’être commentés, s’appliquent surtout à la construction de la musique pure. Il faut alors remarquer que les compositeurs ont toujours pris, à leur égard, une liberté proportionnelle à leur imagination, tout en les conservant comme une sorte de référence permanente; ils sont, en réalité, mal adaptés à une expression qui n’est pas exclusivement musicale (ballets, opéras, oratorios, cantates, musiques religieuses, etc.); dans les opéras, ballets ou oratorios classiques, une référence aux schèmes était cependant toujours perceptible. Ces diverses formes musicales exerçant les unes envers les autres une attraction, une influence, chacune devait fatalement évoluer, jusqu’à ce que semble disparaître (ce qui est le cas dans certaines œuvres contemporaines) la notion même de schème formel. L’évolution devait se faire dans deux directions, qui ne sont qu’apparemment divergentes. La première est celle dans laquelle est recherchée une concentration de la forme. L’une des premières tentatives de ce genre qui soit célèbre est celle de Franz Liszt essayant, dans sa Sonate pour piano , de faire, en un seul mouvement, la synthèse des trois mouvements traditionnels; une autre est celle dite de la composition cyclique, où les mêmes thèmes sont utilisés dans plusieurs mouvements (César Franck). La seconde direction, au contraire, serait présentée par une extension de la forme sous l’influence, notamment, d’une musique dramatique ou à programme, qui renonce au découpage en airs ou en scènes , c’est-à-dire qui cesse d’être une juxtaposition de courtes formes closes (Richard Wagner). Il est remarquable que, dans les deux cas, qu’il s’agisse du resserrement des thèmes ou de leur dilution, une importance accrue est accordée aux motifs, dont la répétition ou la variation assure l’unité de l’ouvrage. À la limite, on arrive, dans les deux cas, à un véritable hyperthématisme (l’unité résultant de la permanence de motifs très courts, voire de la répétition des mêmes intervalles), qui se confond avec ce que l’on a parfois appelé athématisme . Une réussite célèbre en ce domaine est le monodrame d’Arnold Schönberg intitulé Erwartung .Ainsi que le dit Arnold Schönberg, on en arrive à une méthode de composition dans laquelle «tout est thème et tout est développement». On pourrait dire aussi que l’on est ici en présence d’une forme perpétuellement ouverte, qui ne finit par être close que parce que le compositeur veut lui imposer une conclusion. On conçoit alors que, au terme de cette évolution, l’imagination du compositeur se sente comme délivrée du carcan que faisait peser sur elle la tendance dictatoriale des schèmes formels. Mais cette même imagination se trouve alors fortement entravée par la nécessité d’inventer des formes qui, en tant que telles, soient à la fois cohérentes et perceptibles par l’auditeur. Si, jusque vers 1955 environ, la majorité des compositeurs, qu’ils pratiquent une écriture dodécaphonique sérielle ou une autre dérivant de la tonalité, se réfèrent encore à des schèmes formels traditionnels (on écrit toujours des sonates), on peut dire aujourd’hui que les solutions ou pseudo-solutions pour résoudre les problèmes de composition sont devenues tellement variées qu’il est presque impossible de donner une description de chacune. Une tendance qui eut une vie relativement éphémère (de 1955 à 1975 environ) fut celle de la musique dite (à tort) aléatoire ; elle consistait à laisser l’interprète choisir son propre chemin parmi une suite de courtes séquences ou de notes, toutes les combinaisons étant a priori possibles. Le résultat pouvait donc paraître comme imprévisible à l’auditeur, d’où le terme «aléatoire»; l’exemple classique de cette tendance est toujours représenté par le Klavierstück XI de Stockhausen. Une autre tendance fut dénommée minimalisme ; le procédé qu’elle emploie est celui de la répétition obstinée de courts motifs avec une évolution extrêmement lente de leurs présentations instrumentales; on ne peut dire que toute forme disparaît, mais elle est remplacée par une forme rudimentaire (infraforme) résultant des crescendo et decrescendo. Beaucoup plus intéressante est la démarche qui peut être considérée comme une forme moderne de pythagorisme; elle consiste à appliquer à des phénomènes sonores des règles ou lois empruntées aux mathématiques ou à la physique; ainsi, des formes inédites peuvent surgir; le principal représentant de cette méthode est Iannis Xenakis. Plus récemment, enfin, sont apparues les musiques dites spectrales ; dans ces dernières, la forme serait le résultat de l’évolution du son, lequel est construit par le compositeur en faisant jouer à chaque instrument les hauteurs qui correspondraient aux différents harmoniques d’une fondamentale réelle ou virtuelle.D’une manière générale, la tendance qui consiste à juxtaposer des événements ou objets sonores choisis pour leur beauté ou leur intérêt purement auditif en espérant qu’en résultera une forme globale semble être actuellement dominante.Composition et cohérence du discours musicalTout ce qui précède concourt à donner de la composition la définition suivante: l’art de construire un discours musical cohérent; cette définition rejoint celle de Riemann plus que celle de Rousseau. Cette cohérence n’existe, évidemment, que pour autant qu’une unité très forte est sauvegardée en même temps qu’est assurée la variété indispensable qui sauve de la monotonie. C’est pourquoi dans les schèmes formels classiques apparaît le souci de la répétition, lié à celui de la variation, l’une et l’autre étant également nécessaires, sans être pour autant suffisantes. Ce même souci d’unité dans la variété n’est pas abandonné dans les méthodes de composition où la référence aux schèmes formels n’existe plus. Une considération attentive du phénomène musical permet de constater qu’il met en œuvre, chez l’auditeur, trois niveaux de perception distincts.Le premier est limité au son isolé ou à une très brève combinaison de sons; c’est à ce niveau que l’on apprécie les timbres, que l’on compare entre eux une note de trompette, un accord de piano ou d’orchestre, un grincement de porte ou un coup d’avertisseur; il s’agit de la perception sonore primaire, dont seuls les sourds sont privés. Le deuxième est relatif à la perception des motifs musicaux ou des thèmes, c’est-à-dire à la perception musicale la plus élémentaire, celle qui, par exemple, permet à un auditeur n’ayant rien compris à la Neuvième Symphonie de Beethoven de fredonner le début de l’Hymne à la joie . Enfin, le troisième niveau fait appel à la mémoire de l’auditeur; il lui permet de percevoir non plus seulement des assemblages de notes, mais aussi des assemblages de phrases, thèmes et motifs; c’est le plus complexe, celui qui permet de découvrir une cohérence dans une œuvre longue. La composition musicale est, de toute évidence, rigoureusement liée à ce troisième niveau de perception. Pour l’exercer, le musicien doit donc faire appel à la fois à son talent, à sa culture et à toutes les facultés mentales qu’il est convenu de désigner comme étant les plus élevées. La composition est donc manifestement liée à la fois à un travail réfléchi, excluant l’improvisation trop rapide (sauf référence quasi automatique à un schème établi), et à la transcription écrite de ce travail sous forme de partition; il se trouve ainsi définitivement fixé et peut être reproduit indéfiniment par les musiciens exécutants.Les musiques dites électroacoustiques et les musiques d’ordinateurL’apparition de nouveaux moyens techniques de production des sons a provoqué, parfois, une remise en cause des principes mêmes de la composition musicale. On peut résumer ainsi la chronologie d’une tendance qui consiste à accorder une très grande attention au phénomène acoustique, c’est-à-dire à la nouveauté des timbres et des phénomènes sonores, plus qu’aux principes de leur organisation. Dans les innovations acoustiques, les bases mêmes d’un possible renouveau musical apparaissent, ainsi les premières tentatives de musique «électronique» par Jorg Mager en 1913, les premiers concerts des «bruitistes» Filippo Tomaso Marinetti et Luigi Russolo à Paris en 1921, le premier concert de musique «concrète» par Pierre Schaeffer et Pierre Henry en 1948, et, à partir de 1945, la création dans le monde entier de nombreux studios et centres d’enseignement consacrés aux musiques électroacoustiques.Le principe même de composition , tel que nous l’avons décrit précédemment, s’en est trouvé profondément modifié. En effet, de nombreux musiciens électroacousticiens considèrent que l’acte compositionnel se situe, maintenant, davantage dans la nature des phénomènes sonores qu’ils découvrent que dans leur organisation. Par conséquent, pour ce type de composition, la nature du signe, ou signal sonore, aurait une importance supérieure à celle de ladite organisation, ce qui supposerait une totale remise en question de l’art musical occidental. Cette remise en question est de nature à ouvrir de très larges débats auxquels un arbitrage définitif ne sera donné que par le temps.Les progrès des sciences ouvrent, cependant, la voie à des études qui serviront peut-être un jour à mieux comprendre les phénomènes de la composition musicale dans ses divers aspects: la dialectique ordre-désordre, les relations compositeur-auditeur. Pour pouvoir comprendre, ou seulement imaginer, ces études, il faut admettre que l’usage de l’ordinateur modifie complètement les moyens d’action du théoricien et du compositeur. En effet, les divers procédés électroacoustiques – depuis les sons ou bruits préenregistrés et transformés ou non, jusqu’aux multiples possibilités des synthétiseurs – peuvent être considérés, du point de vue de la composition – mais ce point de vue est parfois contesté – de deux manières différentes: soit seulement comme les générateurs de phénomènes sonores nouveaux auxquels il appartiendrait au compositeur de donner forme (Gestalt ); soit, pour résumer, comme un prodigieux enrichissement de la lutherie. L’ordinateur, en revanche, ouvre des perspectives beaucoup plus vastes. Il permet, en effet: une analyse et une synthèse des sons très raffinées, donc un progrès de la lutherie électronique; une étude des procédés de l’écriture musicale, harmonie, contrepoint, et, en général, grammaires musicales; une libération du compositeur, qui devient capable d’imaginer des méthodes de composition dont le temps de réalisation aurait dépassé les forces humaines, de choisir les meilleures solutions parmi les innombrables possibilités offertes; d’entreprendre enfin des recherches sur le mécanisme propre de la composition musicale.Il fallait signaler ce dernier secteur de recherche bien que, jusqu’à présent, il semble avoir été fort peu abordé. Le recours à l’ordinateur implique la reconnaissance de la musique comme un langage dont au moins certains éléments et assemblages sont codifiés ou peuvent l’être. La pratique de tous ces procédés nouveaux peut permettre aux musicologues de nouvelles explications et aux compositeurs de nouvelles musiques, comme le montrent les travaux de Pierre Barbaud en France, de Wilhelm Fucks en Allemagne, de Lejaren Hiller et Milton Babbitt aux États-Unis, etc. En définitive, dans la tradition musicale occidentale, l’histoire de la composition musicale peut être confondue avec celle de la musique elle-même.
Encyclopédie Universelle. 2012.